lundi 4 août 2008

Nina Berberova, « L'Accompagnatrice », Actes Sud, 1985 - Traduit du russe par Lydia Chweitzer

La Révolution de 1917 bouleverse la société Russe jusqu’alors aux mains d’une aristocratie toute puissante. L’intelligentsia, première cible des répressions, est bientôt contrainte de s’exiler en Europe de l’Ouest ou en Amérique. Nostalgique de la splendeur passée lorsqu’elle brillait au pays, elle se reconstitue à l’étranger, autour des expatriés.

Nina Berberova naît en 1901 à Saint-Pétersbourg dans une famille bourgeoise et libérale. Le contexte chaotique qui précède le renversement du tsarisme ne décourage pas les Berberova qui resteront en Russie jusqu’en 1923. Ce sera pour Nina le début d’une vie de voyages et de rencontres et ce n’est que dans les années soixante-dix qu’elle retournera à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Elle s’éteint dans sa dernière demeure dans le New Jersey (États-Unis) en 1993.

Russie, 1919. Sonetchka Antonovskaya vit dans une petite ville avec sa mère grâce aux cours de piano que celle-ci dispense à quelques enfants des environs. Elles mènent une existence difficile jusqu’à la révélation qui les précipite définitivement dans la pauvreté. Sonetchka est le fruit d’une union illégitime, sa mère n’est pas mariée : une condition inacceptable pour la société. Un seul élève reste attaché aux deux femmes : Mitenka.
La mère et la fille partent pour Saint-Pétersbourg où Sonetchka suit les cours de piano du Conservatoire.
C’est par l’entremise de Mitenka qu’en 1919, la jeune fille, alors âgée de 18 ans, fait la connaissance de la cantatrice Maria Nicolaevna Travina. Celle-ci recherche une accompagnatrice permanente, elle compte se produire dans plusieurs villes du pays et même à l’étranger… Dès la première visite au domicile de Maria, le choc est violent pour Sonetchka, le contraste est saisissant et la pianiste nourrit d’emblée une jalousie féroce pour celle qui incarne tout ce qu’elle n’est pas, tout ce qu’elle n’a pas eu. Mariée à Pavel Fédorovitch depuis six ans, Maria, à 28 ans, est une perfection : c’est une belle femme de la haute société, riche et charismatique, son talent irradie et elle fait l’admiration de tous.
Sonetchka évolue dans l’ombre de la cantatrice, à la ville comme à la scène. Rancœur, frustration, désir, refoulement croissent de jour en jour dans l’esprit de la jeune fille. Elle suit toutefois le couple à Moscou, à Rostov, puis à Paris. Là, elle découvre un secret qui pourrait bien exaucer son vœu : se venger de Maria, la punir…

Écrit en 1934, L’Accompagnatrice est un roman de belle facture. Le texte est court mais la construction est habile. Il s’appuie sur quelques spécificités de la littérature russe : l’exacerbation des sentiments, un dénouement que l’on pressent dramatique au fil des pages, une peinture de la société en filigrane de l’action.
Néanmoins, a contrario d’autres œuvres russes articulant l’intrigue autour d’une pléthore de personnages, cette histoire met l’accent sur quelques relations interpersonnelles et présente de façon minutieuse chacune d’elles.
Le lien pudique et ambigu qui unit la mère et la fille, l’harmonie apparente qui règne au sein du couple Maria-Pavel et surtout, l’affrontement silencieux et univoque entre Maria et Sonetchka, motivé par l’iniquité de leur condition sociale respective. Il est intéressant de noter la transformation psychologique de la jeune pianiste : dès qu’elle entre au service de Maria, sa nonchalance et son indifférence laissent place à de la révolte et à de la passion.
L’écriture de Nina Berberova est juste et ravit le lecteur friand de personnalités romanesques marquées.

Sophie F.

« Vraiment, est-ce la peine de se sentir blessé par sa propre mère parce qu’on vous a craché à la figure dès avant votre naissance ? Il est arrivé – et plus d’une fois – que des offensés de ce genre aient donné des êtres vrais, des êtres bons et fiers. L’affaire n’est pas dans la naissance, mais dans quelque chose d’autre. Et on aura beau me dire que n’importe quel moucheron n’a pas le droit de prétendre à la magnificence universelle, je ne cesserai d’attendre et de me dire : tu ne peux pas mourir, tu ne peux pas te reposer, il y a encore un être qui se promène sur terre. Il y a encore une dette que, peut-être, tu pourras un jour recouvrer… si Dieu existe. »

Nina Berberova