samedi 19 juillet 2008

Erri De Luca, « Tu, mio », Payot & Rivages, 1998 - Traduit de l'italien par Danièle Valin

L’Italie des années cinquante porte encore les stigmates de la seconde guerre mondiale. Entraînée dans le sillage de la funeste alliance de son leader avec le nazisme dès le début du conflit (signature du Pacte d’acier), elle s’engage aux côtés de l’Allemagne. Un ralliement plus idéologique et préventif qu’à visée militaire…

« La tâche d’un écrivain est aussi de donner au passé une autre possibilité, une autre intelligence » (Erri De Luca, La République des lettres, 1994). C’est cette thématique qui sous-tend l’intrigue de Tu, mio. Écrit en 1998, ce livre s’inscrit dans l’intention récurrente de l’auteur de « réparer » par l’écriture, par la plume, les affres de l’Histoire. Erri De Luca est né à Naples en 1950.

Une île au large de Naples, dans les années cinquante. Comme tous les ans, le narrateur passe ses grandes vacances en famille. Les journées s’étirent au rythme de la mer et du soleil, les nuits appellent les pêcheurs à la palangre. Mais cet été-là, une rencontre extraordinaire bouleversera à jamais sa vie. Adolescent de seize ans, taciturne et cultivé, en questionnement permanent, il cherche à décrypter le passé. Aux frivolités des jeunes de son âge, il préfère la compagnie de son cousin Daniele, de quatre ans son aîné. Cette année-là, une nouvelle amie de Daniele focalise toutes les attentions : Caia est juive roumaine, pétillante et belle, mais son sourire juvénile dissimule une déchirure d’enfance. Entre elle et le narrateur, se noue une relation puissante de confiance et de tendresse, et les révélations de Caia sonnent comme une réponse aux interrogations de l’adolescent. Elle, retrouve en lui l’être cher qui lui fut arraché... Lui, à la fois fasciné et troublé, défie, à travers elle, une Histoire qui n’est pas la sienne. Il fera l’impossible pour « donner au passé […] une autre intelligence », mais Elle ne le saura jamais, Elle sera déjà partie loin de l’île.

Erri De Luca nous offre, avec Tu, mio, un roman fort, raffiné et émouvant. Écrit dans une langue d’une grande pureté et avec un souci constant du détail, ce roman raconte avec profondeur la transformation d’un adolescent en homme.
Le lecteur rentre très vite dans la caractérisation du jeune narrateur : ce passé de guerre qu’il n’a pas vécu le tourmente, on sent un personnage sombre tout au long de l’histoire, bien avant même la rencontre. Il ne s’extériorise pas, il étudie et observe, il fomente et il aime, toujours en silence. L’atmosphère est propice à la réflexion et la figure de Caia vient bouleverser son monde et exprimer son désir de révolte. La symbolique de la tempête est tout à fait significative si on l’apparente à la lutte intérieure du narrateur contre le poids du passé. On pourrait également associer l’épisode de la morsure de murène aux blessures de l’Histoire…
L’émotion est constamment palpable, elle est très bien écrite : le lecteur vibre avec les protagonistes, il fait sienne la douleur de Caia, joue le jeu de l’incarnation macabre et tremble au dénouement.

Tu, mio, se lit comme de la « dentelle littéraire », c’est un enchantement et un délice.

Sophie F.

« [...] Sur cette île j’avais appris la liberté face à la vie close de la ville, pauvre liberté d’un corps enfin à l’air libre. Vous avez planté l’amour dans ma chair, vous me lancez dans le monde comme une balle perdue. L’amour renferme aussi la colère, le déclic qui fait se lever de sa chaise, comme tu me l’as montré. Tu m’as appelé hors de moi-même […]. Ce qui n’était possible que par toi, par toi qui te nommes vie. [...] »

Erri De Luca

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