lundi 7 juillet 2008

Primo Levi, « Si c'est un homme », Julliard, 1987 - Traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger

Primo Levi s’est donné la mort en 1987, soit exactement quarante ans après la première parution de ce manuscrit. Si c’est un homme est son premier ouvrage. Écrit sous la forme d’un journal, le réalisme de la narration fait pénétrer le lecteur au cœur de l’enfer.
Ce récit autobiographique est un témoignage bouleversant et saisissant sur la férocité de l’appareil nazi.

Février 1944 – Arrêté sur dénonciation (alors qu’il est résistant en Italie), Primo Levi a vingt-quatre ans lorsqu’il est déporté en tant que juif au Lager (camp) de Buna-Monowitz, annexe au plus grand camp concentrationnaire du IIIe Reich, Auschwitz. Dès son transfert en wagon plombé en compagnie de centaines d’autres juifs, il est projeté dans la machine d’extermination nazie. « La Buna », c’est le maelström de l’horreur, de l’humiliation, de la souffrance physique et de la torture psychologique au quotidien – périodiquement, les SS procèdent à la « sélection » : les prisonniers décrétés valides ont (pour cette fois) la vie sauve, ceux qui montrent des signes de faiblesse sont envoyés à la mort. Ce système permet aux autorités d’assurer l’équilibre entre nouveaux « arrivants » et encombrement des Blocks (baraques).
Mais la Buna, c’est aussi la survie, la force surhumaine et inouïe – individuelle ou ensemble –, les petites victoires sur l’oppresseur, la foi et l’humanité. La chance surtout, la chance…
Dans le camp, les communautés (souvent associées par nationalité) s’organisent pour améliorer leurs conditions de (sur)vie, des systèmes d’économie parallèle se mettent en place, en interne et avec les populations extérieures.
Janvier 1945 – Les Allemands fuient précipitamment le camp devant l’avancée des Russes. Emmenant avec eux les prisonniers suffisamment robustes, ils laissent sur place ceux qui résidaient au K.B. (Krankenbau, l’infirmerie) au moment de leur déroute. S’ensuivent alors dix jours d’attente, de lutte ultime contre la mort, d’agonie puis de mort pour certains, jusqu’à ce 27 janvier 1945…

Si c’est un homme est un livre exceptionnel tant par la crudité du propos que par la sobriété de son écriture. L’obscénité et l’absurde se disputent la primeur, la tentative d’analyse s’efface devant l’indicible. La rédaction sous forme de journal rajoute au réalisme des scènes racontées et au-delà de la dimension historique du récit (l’un des premiers à témoigner de l’horreur de ce camp), le lecteur pénètre dans le quotidien de ces hommes relégués au rang d’esclaves.

Souligné par l’auteur lui-même, un événement particulier confine à l’absurde dans le contexte mortifère de la Buna : parmi toutes les entreprises stupéfiantes développées par les Allemands pour exploiter les déportés, celle qui constitua à faire passer un examen de qualification aux prisonniers de formation scientifique, est significative. Grâce à sa réussite, le chimiste Primo Levi put passer les derniers mois de sa détention au laboratoire de chimie du camp. Une aubaine inestimable compte tenu des températures hivernales.

L’appendice qui prolonge le corpus du livre mérite une lecture attentive : écrit en 1976 pour répondre aux questions récurrentes des lecteurs, jeunes et adultes, il donne à lire la pensée profonde de Primo Levi. À travers les interrogations qui lui sont soumises, il analyse sans pathos les racines du mal et prévient des risques de répétition de l’Histoire…

Sophie F.

« […] Lorsque le dogme informulé est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique, il y a le Lager ; c’est-à-dire le produit d’une conception du monde poussée à ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme […]. »

Primo Levi

1 commentaire:

Claire Girauld a dit…

Chère Sophie,
Il n'est pas toujours facile de s'atteler à ce genre de lecture pourtant primordiale pour la mémoire de l'humanité. C'est donc une première belle note de lecture que tu nous offre là ! Merci.
Claire